L’Économie de « l’attention »

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L’essai de Bruno Patino intitulé « La civilisation du poisson rouge » [1]  est éclairant à plus d’un titre sur la véritable révolution que nous vivons depuis que l’on a mis ensemble le web et la téléphonie mobile. Dans cet article nous partageons avec vous les idées forces de ce livre ainsi que les commentaires qu’il inspire.

 

La fusion des deux moyens de communication et des deux technologies (web et téléphonie mobile) a produit des changements spectaculaires dans de très nombreux domaines.

Au premier chef c’est dans le domaine économique que l’on assiste à une véritable rupture mais les transformations sont également visibles dans le domaine social ou sociétal et chacun d’entre nous en fait l’expérience dans sa vie quotidienne. Certains vont jusqu’à parler de l’avènement d’un nouveau modèle de civilisation, voire d’une révolution anthropologique tant nos comportements ont été profondément modifiés.

 

En effet, désormais notre attention est devenue un bien convoité et exploité par les plateformes. Citons l’auteur : « Le poisson rouge tourne dans son bocal. Il semble redécouvrir le monde à chaque tour. Les ingénieurs de Google ont réussi à calculer la durée maximale de son attention : 8 secondes. Ces mêmes ingénieurs ont évalué la durée d’attention de la génération des millenials, celle qui a grandi avec les écrans connectés : 9 secondes. »

Une minuscule seconde nous sépare du poisson rouge car toute information qui nous arrive est immédiatement recouverte par une autre, dès lors il s’agit de capter de manière instantanée notre attention pour déclencher désir, impulsion, émotion et surtout un réflexe d’achat de biens ou de services utiles ou inutiles.

La collecte des données personnelles a atteint un tel niveau de précision que la publicité est désormais un art du « sur-mesure ».

Le nouveau modèle économique qui résulte de la combinaison du web et de la téléphonie mobile est celui de la captation de l’attention de tous pour vendre à chacun. Cela signifie que le temps doit être rentabilisé d’une nouvelle manière totalement inédite. Il nous semble que contrairement à« l’économie de la production », dans laquelle c’est le temps du producteur de valeur qui doit être optimisé et rendu productif, dans l’économie de l’attention c’est désormais le temps du consommateur et du citoyen qui doit devenir productif et rentable. Rendre notre attention productive voilà ce que les plateformes ont réussi à faire en quelques années. Nous sommes devenus progressivement totalement dépendant de nos écrans et des messages qui s’y affichent et nous sollicitent en permanence. Fabrice Patino va jusqu’à parler d’une « servitude numérique » [2] qu’ont réussi à créer les géants de l’économie de l’attention.

Pourtant, nous rappelle l’auteur, au début cette alliance du web et de la téléphonie mobile avait suscité des espoirs. L’espoir de l’émergence d’un monde du partage des idées, des biens, des services avec des formes de collaboration, de gratuité et de don. Très vite il a fallu déchanter face à la montée en puissance de ce que Fabrice Patino a appelé une «e-mocratie » caractérisée par le choc des opinions, la polarisation des idées, une indifférenciation des contenus, une absence de hiérarchie dans les savoirs et l’émergence de voix ennemies de la liberté au nom même de la liberté.

 

Toutefois il y a une prise de conscience de la gravité des dangers qui nous guettent si la civilisation, du numérique est livrée à elle-même sans régulation. Un débat s’est instauré sur la neutralité du net et sur sa régulation. Les grandes plateformes pensent que le danger vient de l’extérieur et qu’elles doivent se contenter de vérifier les contenus qui entrent dans le net, réguler les messages et si besoin sanctionner et « déplateformiser » certains acteurs.

Cela reste insuffisant car on ne s’attaque pas à comment se font les messages ; il ne s’agit pas de transparence algorithmique mais de responsabilité algorithmique. Agir dans cette direction dès à présent est un impératif catégorique pour que l’économie de l’attention ne détruise pas nos repères.

[1] Bruno Patino : « La civilisation du poisson rouge. Petit traité sur le marché de l’attention. » Ed. Grasset

[2] Clin d’œil bienvenu au discours de la servitude volontaire de La Boétie.

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